LOI AVENIR PROFESSIONNEL.
LES ESP : UNE OPPORTUNITÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT D’UNE PÉDAGOGIE DE L’ALTERNANCE
La loi “Avenir Professionnel” du 5 septembre 2018 met l’accent, au-delà du changement des modalités du contrat d’apprentissage, du rapprochement contrat de professio
nnalisation et contrat d’apprentissage ou encore des nouveaux acteurs comme
France Compétences, sur l’action de formation devenue plus précisément « parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel ». Ce qui, par cette notion de parcours, peut poser notamment le principe des entrées et sorties permanentes à savoir « la possibilité pour toute personne d’entrer en apprentissage et de sortir à tout moment, et non plus seulement d’entrer en septembre et de sortir en juin »(1). Même si ce principe semble déjà entendu lors des mises en œuvre de l’individualisation, il inclut désormais une possibilité et une volonté d’adapter l’action de formation, d’envisager une souplesse de durée, correspondant au profil de l’apprenant, à ses besoins et à ceux de l’entreprise. L’action de formation pourra être réduite ou allongée, impliquant du « sur mesure » dans la gamme des parcours proposés, comme dans la variété des modalités pédagogiques. L’apprenant pourra entrer en formation à tout moment et en sortir dès lors qu’il sera prêt, ce qui demande aux centres de formation d’apprentis une transformation des ingénieries de parcours, de la formation et de la pédagogie ou encore de l’évaluation. Au 1er janvier 2019 le plan de formation des entreprises devenu « plan de développement des compétences » apporte une réflexion supplémentaire sur les enjeux d’une formation ajustée aux besoins des salariés et des entreprises. Les nouveaux référentiels de certification intégrant déjà l’approche compétences pourront ainsi par endroits, croiser les plans de développement des compétences, pour définir un parcours ciblé sur un objectif professionnel défini.
On peut constater que le principe des ESP pousse à une personnalisation de la formation, qui dans le domaine de l’alternance devient l’occasion de rapprocher mieux encore les deux pôles de la formation, les entreprises et les centres, plus particulièrement les maîtres d’apprentissage/tuteurs (2) avec les directions des centres, les équipes pédagogiques et administratives. De plus, la création de la certification relative aux compétences de maître d’apprentissage/tuteur, contribue à valoriser leurs missions, en leur permettant de faire reconnaitre leurs compétences, ce qui peut faciliter leur engagement dans une démarche commune, partagée, et l’alliance visant à renforcer les moyens d’éviter les décrochages des apprentis.
La mise en œuvre des ESP ouvre donc la voie à une consolidation du partenariat entre le centre de formation d’apprentis et les entreprises à travers les étapes du recrutement, du positionnement, de la construction de parcours, de la définition des modalités pédagogiques et de l’évaluation. Elle mobilise les acteurs dans une démarche coopérative qui favorise la définition du rôle de chacun. Elle donne à l’accompagnement tout son sens, par la réinvention de la mission des acteurs, centrés sur les besoins de l’apprenant et sur sa professionnalisation.
DU RECRUTEMENT À LA CERTIFICATION : LA CONSOLIDATION DU PARTENARIAT AVEC LES ENTREPRISES.
Que l’apprenti vienne avec son entreprise ou non, on pourra lui proposer une formation adaptée et personnalisée, dans le cadre des entrées et sorties permanentes (ESP), après avoir pris en compte et validé son projet professionnel. Ainsi l’accord fondé sur ce projet de l’apprenant, élément fondateur du contrat, prend toute sa valeur. Il resserre les relations entre les 3 acteurs, apprenant/entreprises/ CFA par un engagement réel et approuvé autour de l’objectif professionnel de l’apprenti, qui détermine la mise en place du parcours, par un positionnement précis de façon à envisager sa durée, son contenu et ses modalités pédagogiques. Les organismes de formation peuvent offrir aux entreprises des formations mieux adaptées à leurs besoins et aux apprentis qu’elles recrutent. On voit bien apparaître un éventail de possibilités de rapprochement entre les deux acteurs de la formation (CFA et Entreprises) par cette formule des entrées et sorties permanentes.
L’étape du positionnement, comportant une partie de mesure des acquis professionnels, peut par exemple favoriser les relations des équipes pédagogiques avec le maître d’apprentissage/tuteur allant de la simple information à la co-construction d’outils communs de mesure, relayés par une communication avec l’apprenant. Dès lors que les acquis professionnels à l’entrée de la formation sont mesurés et associés au repérage des acquis en enseignement général, l’étape de la validation du parcours en termes de compétences, de contenu et de durée peut s’envisager avec l’entreprise, ce qui évite le cloisonnement Entreprise/CFA dont on connaît les écueils.
L’étape de la construction une stratégie de formation alternée. En fonction du projet et des acquis professionnels, en s’appuyant sur le référentiel des activités professionnelles, les articulations de la formation entreprise /centre de formation peuvent s’élaborer. En fonction des compétences à acquérir, les situations de travail et d’apprentissage seront choisies pour faciliter le lien entre les deux pôles de la formation. Le maître d’apprentissage/tuteur peut être invité à y collaborer, y participer et a minima à valider l’ingénierie de parcours, autre point d’entrée d’un engagement contractuel. De plus, l’outillage de l’alternance partagé pourra l’associer à l’ingénierie de formation et l’ingénierie pédagogique.
Quant à l’étape de l’évaluation, elle se comprend comme continue et collaborative, partant de la validation du projet professionnel, elle viendra, module par module ou étape par étape, contribuer à la formation par une remédiation, une aide et une validation des compétences construites au fur et à mesure du parcours, lors d’entretiens, de rencontres, de visites en entreprise.
Ce dispositif répond au principe de personnalisation de la formation, intègre à chaque étape tous les acteurs orientés vers le même objectif, et définit en lui-même l’accompagnement qui, pour mener à l’autonomie de l’apprenant, mobilise bien d’autres acteurs que le formateur référent et le maître d’apprentissage/ tuteur. Autrement dit, voici une opportunité d’investir dans une instrumentation de l’alternance. L’accompagnement comporte de ce fait pour les trois acteurs une validation du projet, une mise en place d’un positionnement collégial, une validation des parcours, une guidance collaborative avec des remédiations et des propositions tout au long du parcours pour parvenir à concrétiser le projet professionnel.
LA MOBILISATION DES ACTEURS ET LEUR PLACE RESPECTIVE DANS LA COOPÉRATION
Personnaliser la formation, faire du « sur mesure » grâce à la possibilité des entrées et sorties permanentes, implique une transformation des organisations que sont les CFA, transformation qui repose sur une prise en compte du fonctionnement relationnel, du travail collaboratif, et constructif avec les entreprises, des expériences d’outillage de chaque établissement, pour définir des objectifs de mise en œuvre adaptés et enracinés dans le contexte. La conduite du changement elle-même contient les prémisses des actions à entreprendre et à rendre durables. C’est pourquoi la mise en œuvre des ESP se prolonge au-delà d’une ingénierie à divers niveaux, nécessite une mobilisation de tous les acteurs, de la conception à la réalisation jusqu’à son suivi dans le temps long. Réussir à engager les acteurs au moment de cette mise en place sera le plus souvent une condition du succès pour que le dispositif perdure et atteigne son objectif.
Il est envisageable de créer un comité de pilotage mixte CFA /entreprise, des relais et des outils dédiés, prévoir des restitutions, des moments de validation, inclure à chaque étape l’apprenant, le Maître d’apprentissage/tuteur, les équipes administratives et pédagogiques avec comme condition une vigilance sur la place de chacun à chaque moment sur les 6 niveaux d’interaction : informer, participer, communiquer, réaliser, valider, offrir une marge d’intervention.
Un questionnement s‘impose pour aider à la mission de chacun. L’entreprise est-elle informée ? Participe-t-elle ? Peut-elle proposer ? Communique-t-elle ? Valide-t-elle ? A-t-elle une marge d’intervention ? Même questionnement pour l’apprenant, et les équipes. Ces interactions délimitées et concrètes rendent alors visibles celles qui auront lieu pour faire vivre le processus avec les actions, réellement utiles, parce que construites par ceux qui les conduiront. Est-il besoin de souligner ce qui ici s’apparente à la spécificité d’une formation par alternance ?
Favoriser l’engagement de l’apprenant au début et tout au long du parcours à travers son projet professionnel, concevoir une partie du positionnement avec la participation et l’adhésion des formateurs et des maîtres d’apprentissage, construire les parcours avec les équipes administratives et pédagogiques, avec l’adhésion de l’apprenant et de l’entreprise, décider des modalités pédagogiques et d’évaluation, en informer les acteurs et leur faire valider et compléter si besoin, s’assurer du suivi du processus avec les équipes administratives et pédagogiques : nul doute que cela aide à la redéfinition de la mission de chaque acteur, l’enracine dans l’action , la relie aux responsabilités de tous.
L’ACCOMPAGNEMENT PÉDAGOGIQUE POUR UNE COHÉRENCE SIGNIFICATIVE
Dans un dispositif organisé non plus pour un groupe-classe, mais pour un individu en fonction de son projet professionnel, ses acquis, ses prérequis, et des compétences qu’il a à acquérir, la démarche d’accompagnement devient centrale, recouvre toutes les étapes et en constitue le fil directeur dont l’opérationnalité dépend de l’articulation entre les missions de chacun et des temps définis pour les faire vivre. Si le projet a mobilisé les uns et les autres à chaque étape, la symétrie s’opère sur le mode d’accompagnement. Il s’agit alors de donner à l’apprenant les ressources matérielles et humaines pour progresser dans son parcours, de lui apprendre à les utiliser, à les exploiter et à solliciter les accompagnateurs de façon à entamer le processus d’autonomisation. Pour ce faire, la réponse majeure reste la répartition claire des missions de chacun dans les équipes et des maîtres d’apprentissage/tuteurs.
Le maître d’apprentissage est accompagnateur avec les formateurs, il s’agit donc bien de définir et de se mettre d’accord sur les multimodalités de réalisation et de voir aussi comment aider le jeune à s’approprier son propre parcours, en devenant petit à petit le conducteur. Quels outils d’aide à l’autonomie lui donne-t-on ? Qui les lui donne ? Comment envisage-t-on le co-accompagnement formateurs et maître d’apprentissage ? Avec quel type de communication ? Comment l’évaluation constituera une balise, une alerte, un outil d’information ? Qui parmi les formateurs- un seul ou un collectif- accompagnera et à quel niveau ? de quelle façon ? Comment propose-t-on d’ajuster la durée du parcours si besoin ? Quels moyens sont envisagés par la direction des centres de formation pour la mise en œuvre ? Toutes ces questions loin d’être exhaustives révèlent l’important bouleversement d’un tel dispositif et l’occasion extraordinaire de s’en emparer pour faire évoluer les pratiques et développer les motivations.
La mise en œuvre des ESP réinterroge la pédagogie de l’alternance, constitue un moyen de l’améliorer, de l’approfondir, de la consolider par une transformation des CFA et de la coopération avec les entreprises, par un dépassement de la dichotomie habituelle entre l’entreprise et le centre de formation. En se focalisant en quelque sorte sur la faisabilité de réaliser le projet professionnel de l’apprenant, en proposant de venir et de partir en fonction de ses propres besoins et de ceux de l’entreprise, tous les termes et notions ressassés depuis des années, comme « individualisation », « personnalisation », « positionnement », « parcours de formation », « modularisation », « compétences » reprennent des couleurs et une densité effective.
ÊTRE AU PLUS PRÈS DE L’EMPLOI ET DES BESOINS DES APPRENTIS COMME DES ENTREPRISES
Il est aisé de s’apercevoir que finalement, la digitalisation de la formation, les modalités pédagogiques nouvelles, les variétés d’outils, les liens à trouver avec les entreprises, s’ouvrent à l’esprit de créativité, mais parfois aussi aux craintes ou aux freins, pour les équipes. Or, quand un organisme de formation cherche à mettre en place les ESP, il constate que l’entrée par la matérialisation d’une formation organisée autrement dans le temps, fait de tous ces éléments des clés d’entrée, facilitantes. C’est une chance pour la formation professionnelle, dans un système par alternance.
Mener à bien son projet professionnel, validé par tous les acteurs, répondre aux besoins de recrutement des entreprises et à leur évolution, permettre à tout un chacun de concrétiser son projet professionnel en lui proposant le parcours le plus adapté à sa situation, ses besoins, son cursus : cela se fait d’autant plus aisément qu’on associe tous les acteurs, en valorisant leurs compétences, leurs spécificités, en prenant en compte leurs intérêts propres et communs, pour un seul bénéficiaire, l’alternant et un objectif, son employabilité.
Notes de l'auteure
(2) Dans le cadre du plan de transformation de l’apprentissage du 9 février 2018 (mesure 18) et de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le ministère du Travail a créé la certification relative aux compétences de maître d’apprentissage/tuteur. Elle fait l’objet d’un enregistrement dans le répertoire spécifique sous le numéro RS 5515 (Journal officiel du 15/12/2021).
Cette certification établie en concertation avec les principaux partenaires, porte l’ambition de réduire les décrochages des apprentis/alternants en renforçant leur accompagnement, notamment par une meilleure professionnalisation des maîtres d’apprentissage en entreprise. Elle intègre la dimension en matière d’accompagnement des personnes en situation de handicap.
https://travail-emploi.gouv.fr/formation-professionnelle/certification-competences-pro/certification-matu
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